Fais un noeud à ton mouchoir !

Mouchoir et mémoire

Fais un noeud à ton mouchoir ! Où il est question de mémoire … Et de mouchoirs.

Je me suis réveillée ce matin avec cette phrase dans la tête : Fais un noeud à ton mouchoir !

Et je visualisais ce morceau de tissu coincé dans ma poche comme un rappel. 

Pourtant, cela fait bien longtemps que je n’utilise plus de mouchoirs en tissu ! 

Lorsque j’étais petite, j’avais une passion pour ces petits carrés d’étoffe propres et amidonnés qui, chaque matin, rejoignaient mon vade-mecum. J’en avais de brodés, de fleuris et même d’imprimés avec les jours de la semaine. Je me souviens que cela me contrariait beaucoup lorsque le jour du mouchoir n’était pas fidèle à la date. 

Ma mère en avait toujours un dans son sac à main, finement parfumé de quelques gouttes de Princesse d’Albret. Je crois bien qu’elle ne s’en servait jamais pour se moucher. D’ailleurs, il côtoyait bien souvent un paquet de kleenex exclusivement utilitaire. Je me demande si elle le fait encore. Lorsqu’elle ouvrait son sac, une exhalation s’en échappait instantanément, comme une signature qu’elle entretenait soigneusement.

Malgré mon goût pour cet objet exemplaire à mes yeux, il me paraissait profondément injuste que les mouchoirs des filles fussent largement plus petits que ceux des garçons. Comme s’il fallait faire preuve de délicatesse jusqu’à la quantité de morve que nous étions autorisées à produire chaque jour !

Et puis, c’était beaucoup moins pratique pour s’en faire un chapeau ou un balluchon ! Que pouvions-nous emballer dans un carré de 25 cm de côté ? 

À la table familiale, pour nous amuser ou nous faire patienter entre deux plats, mon père sortait son grand mouchoir de garçon, pas loin de 50 cm de côté (quel veinard !) et en faisait des pliages. Apparaissaient alors sous nos yeux ravis une rose, un cornet, toute sorte d’animaux ou, ce qui nous amusait sans doute le plus, une poitrine pointue qu’il plaçait devant son torse en riant. 

Lorsque mon père est mort, j’ai voulu garder de lui l’un de ses grands mouchoirs à carreaux et quelques-uns de ses légendaires nœud papillons qui ne sont rien d’autre que des mouchoirs noués élégamment. Bien sûr je n’avais pas besoin de cela pour me souvenir de lui. Mais, bon, on ne sait jamais, si la mémoire venait à me faire défaut, il me resterait toujours ces bouts de coton !

Les chemins de la mémoire ne sont parfois pas plus grands qu’un mouchoir de poche.

Biographe privée. Toutes les histoires qui restent à raconter

Les histoires à raconter

Si l’on fait abstraction de mes toutes premières tentatives de biographe privée, je n’ai jamais raconté la vie de gens très proches de moi. 

Les protagonistes de mes biographies sont toujours des inconnu·e·s. Du moins l’étaient-iels jusqu’à notre première rencontre. 

Comment peut-il en être autrement ?

Pourtant, j’imagine souvent ce que cela ferait d’écrire l’histoire des femmes et des hommes de mon cercle. Devenir la biographe privée de mes ami·e·s. Pourquoi pas ? Certes, toutes les vies sont singulières et méritent d’être racontées. Il n’existe pas d’histoire banale lorsqu’il s’agit d’humanité. Même s’il est vrai que certains parcours titillent mon appétit de biographe.

J’y pensais l’autre jour en refaisant le monde avec Christine et Bernard. 

Toutes les histoires qui restent à raconter
Le temps de vivre

Ce couple-là a vraiment une histoire à part. 

De la Corse

Je les ai rencontré·e·s il y a une vingtaine d’années. Dans le bleu englobant de l’île que nous avions élue. 

Leur petit atelier de poterie, situé dans les hauteurs d’une crique encore un peu sauvage à l’époque, connaissait un joli succès. Les commandes allaient bon train et il n’était pas rare de découvrir quelques faïences dessinées par Christine aux portails ou dans les salles de bain de quelque villa de luxe.

La maison que ce couple avait choisie pour s’installer en Corse était une rescapée des nuits bleues. Mais après le passage de Christine et Bernard, il ne restait plus la moindre cicatrice de ces anciennes blessures. Elle surgissait fièrement au milieu d’un jardin pas toujours très discipliné. Silhouette presque rouge aux volets bleus, annoncée par un grand panneau de céramique cimenté au pilier proclamant la présence de l’atelier de poterie. Plus de quinze ans après leur départ de l’île, et même si la maison n’abrite plus d’artisan·ne, on peut encore le voir. Personne n’a eu envie de détruire cette enseigne.

Un beau jour, toute la famille a abandonné ce petit paradis pour aller en créer un autre, dans leurs terres d’origine cette fois. 

Au domaine de Cadablès

Je me souviens très bien des débuts sur le domaine de Cadablès qui n’était à l’époque qu’un vieux mas presque laissé à l’abandon au milieu de quelques hectares de vignes et de garrigue. Je me souviens des premiers mois où la propriété n’était pas habitable. Quand il fallut loger dans des tentes et se laver à la douche de jardin, hiver comme été. La plus jeune de la tribu commençait tout juste à faire ses premiers pas. J’observai cette aventure avec un mélange d’admiration et d’inquiétude. Mais mon inquiétude ne rendait pas justice à la force créatrice de ce couple magique.

Biographie. Poésie des lieux et des êtres
Plonger dans la poésie du lieu

Aujourd’hui, non seulement le domaine de Cadablès produit l’un des meilleurs vins bio de la région (de l’avis de mes papilles) mais il est aussi l’un de mes endroits préférés en Languedoc. Un monde magnifique, un lieu accueillant. Où l’on a envie de rester. Pour un peu plus de soleil, un peu plus de midi, un peu plus de chaleur humaine et de poésie

Raconter les lieux
Le Languedoc, des vignes à la mer

Et même si la vue panoramique depuis la terrasse du mas est à couper le souffle. Même si l’on y embrasse tous les paysages du Languedoc jusqu’à la mer. Ce n’est pas le plus impressionnant de votre séjour à Cadablès. Non, le plus impressionnant est sans conteste la manifestation de ce que peuvent accomplir le rêve et la passion. Le plus impressionnant est la présence, dans chaque parcelle de terrain, chaque pierre de mur, chaque coup de taloche, chaque plante, de cette formidable énergie humaine.

Vraiment, ce serait un privilège pour moi si je devais, un jour, raconter cette aventure.

Écriture inclusive ?

Écriture inclusive

Comme vous l’aurez sans doute remarqué (ou pas si vous y êtes déjà tellement habitué·e), ce blog est rédigé dans une tentative d’écriture inclusive. Je sais que je pourrais mieux faire encore en la matière mais je tiens à ce que la lecture reste aisée pour tou·te·s, y compris celleux qui ne seraient pas familiarisé·e·s avec cette façon d’écrire.

Surtout que nous sommes loin du consensus en matière d’écriture… et d’inclusion… 

La lecture des ouvrages d’Éliane Viennot (entre autres) et du Guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe, publié en 2016 par le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, m’a vraiment mis le pied à l’étrier. Puisque des règles existaient, et qu’elles avaient un sens tant historique que linguistique, je pouvais apporter mon petit caillou à l’édifice.

Je suis terriblement consciente de la nécessité de posséder un code commun pour nous permettre d’échanger confortablement et aussi très attachée à l’histoire de la langue française. 

Ce qui pourrait paraître en contradiction avec ce choix de l’écriture inclusive. Pourtant, c’est assez cohérent.

La langue se modifie de façon naturelle sous l’influence de l’oral et de ses simplifications, des apports étrangers, de l’évolution des modes de vie.

Mais, parfois, ces modifications sont forcées, imposées selon des présupposés parfois fort discutables (et c’est un euphémisme).

Ainsi, lorsque l’Académie française a tranché pour l’accord au masculin, elle l’a fait en vertu du principe que : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle »[1]. Ben voyons ! Avant cela, l’accord de proximité ou de quantité était la règle et cela ne rendait pas la langue moins simple ou moins logique.

On voit bien ici qu’il n’est pas question d’une forme neutre permettant d’alléger le texte mais bien d’une prise de position résolument sexiste et excluante. Et il n’est encore question que d’une division binaire des sexes et genres. 

Le lien entre langue et construction du monde n’est plus à démontrer et si une société constate que sa langue ne tient pas compte de sa réalité, l’évolution s’imposera. Reste à savoir si nous avons tou·te·s envie d’une société égalitaire qui ne laisserait pas des représentations toxiques invisibiliser une part importante des personnes qui la composent. 

À vrai dire, ce choix complique un peu la saisie de mes textes. Insérer le point médian, lutter contre les corrections automatiques et les forcer plusieurs fois avant que la forme que je propose soit admise.

Je dois aussi accepter de ne pas être consensuelle, d’attirer sur moi les foudres de mes collègues correcteur·ices et rédacteur·ices qui jugent souvent cette mode inesthétique, embarrassée et pas toujours fidèle à nos chères règles orthographiques et grammaticales. Il est vrai que corriger un texte long rédigé en écriture inclusive ou épicène peut provoquer quelques migraines. 

Cependant, j’essaye de rester fidèle à mes valeurs et d’agir dans le sens du monde que je souhaiterais léguer. Je tente d’accompagner l’évolution de ma langue natale de la même manière que je fais attention à mes déchets et à ma consommation. 

Bien sûr, lorsque je rédige pour autrui, je m’en tiens encore aux règles communément admises.

Je dois avouer que nul·le ne m’a encore jamais demandé de rédiger une biographie en écriture inclusive et que si je devais le faire, cela me demanderait sûrement une concentration et une réflexion supplémentaires. Mais ce ne serait sûrement pas plus difficile que d’écrire en alexandrins, après tout, les règles de métrique sont bien plus contraignantes que celle d’écriture inclusive.

J’espère qu’un jour nous rirons de ce débat. 


[1] Nicolas Beauzée, grammairien membre de l’Académie française 1717-1789

Mystérieuse mémoire

mystérieuse mémoire

Qu’est-ce que c’est que ce chapeau ?

On ne sait pas encore très bien comment fonctionne la mémoire. Comment se créent et se recréent les souvenirs qui semblent beaucoup plus proches des capacités d’imagination que d’une sorte de banque de données qui serait stockée dans un coin de notre cerveau.

Ce matin, j’ai vécu une expérience étrange. En rapport justement avec la mémoire et le souvenir.

L’une de mes amies, C., m’envoie une photo qu’elle vient de retrouver dans une vieille boîte rangée au fond d’une armoire. 

Une jeune femme

C’est la photo d’une jeune femme. Le ou la photographe est placé·e derrière elle de sorte qu’on la voit de dos mais son visage est tourné vers l’objectif. Pourtant elle ne semble pas poser.

Ses yeux disparaissent derrière une paire de Rayban Wayfarer aux montures et aux verres noirs.  Elle porte un chapeau de paille, un genre de canotier dont le ruban est à bandes de couleurs chaudes, rose foncé et jaune. De son vêtement, surement léger, je ne vois qu’une bretelle de coton gris et blanc. Autour de son cou, une chaîne de mailles filigranes en or. Du chapeau sort une grosse boucle de cheveux roux qui recouvre la nuque.

photo souvenir

La lumière sur la photo, le chapeau, les épaules dénudées et légèrement bronzées du modèle me parlent d’été. Le plan est assez serré de sorte que je ne dispose pas de beaucoup d’indices sur les lieux du tableau. La femme est assise sur un fauteuil en rotin et surplombe un vague jardin dont on aperçoit quelques taches vertes dans le flou de l’arrière-plan. Un balcon ? Une terrasse ? En tout cas, ce lieu ne m’est pas familier. Elle tient dans ses mains un paquet de feuilles dactylographiées dans la lecture desquelles elle semble avoir été interrompue par l’appareil. 

Souvenir retrouvé

Le message qui accompagne l’envoi de cette photo dit : « souvenir retrouvé ».

Si C. me l’envoie, il doit s’agir d’un souvenir que nous partageons. Est-ce moi sur la photo ?

Ma première impression me dit non.

Mais je veux en avoir le cœur net. Alors j’examine plus attentivement ce visage aux rondeurs encore enfantines. Et, tout à coup, je reconnais les traits de ma fille, quelque chose dans le menton, la forme de la bouche. Et j’accepte que la jeune femme sur cette photo est celle que j’étais il y a des années. Je ne me reconnais toujours pas mais j’admets, ok, c’est moi.

Pourtant, je reste bloquée sur le chapeau « qu’est-ce que c’est que ce chapeau ? » Je ne garde aucun souvenir de lui.

J’étais presque davantage contrariée de ne pas reconnaître ce chapeau que de ne pas être capable de m’identifier. 

Tout ce que j’ai eu, tout ce que j’ai vécu, tout ce que j’ai vu, entendu, respiré, ressenti me constitue. J’ai été façonnée par des journées comme celle-là. Comment puis-je en perdre le souvenir conscient ?

Je suis toujours fascinée par l’acuité et la vivacité des souvenirs des personnes dont j’écris la vie.

Certaines sont jeunes encore, d’autres frôlent le siècle. Mais toutes racontent un quotidien, des événements, des rencontres.

Au fur et à mesure de nos entretiens, les détails deviennent de plus en plus nombreux, de plus en plus vivants, de plus en plus précis.

L’écriture de sa vie permet cela aussi. Faire ressurgir ces mille petites choses reléguées dans une vieille boîte rangée au fond de nos cerveaux chaque fois qu’il était nécessaire de faire de la place pour les nouvelles expériences. 

Mais qu’est-ce que c’est que ce chapeau ?