la saison des vide-greniers

la saison des vide-greniers

C’est la saison des vide-greniers. Chaque jour, dans les villages des alentours, les rues s’emplissent d’objets désaimés, devenus inutiles, encombrants. Une aubaine pour moi dont le métier consiste à me promener dans l’histoire des autres.

Ou pas. 

Les vestiges du passé exercent sur moi une attraction-répulsion presque parfaitement équilibrée. Qu’en faire ? Faut-il les conserver le plus longtemps possible ? Leur consacrer du temps, de l’argent, des compétences — c’est un peu dans ce sens que nous sommes éduqué·e·s — ? Faut-il au contraire les détruire dès qu’ils ont fini d’être utiles ou si leur présence entre en conflit avec notre représentation du monde ? 

J’aime l’impression de pérennité que me procure le contact des lieux anciens, usés par des êtres qui ne respirent plus depuis longtemps mais dont je peux imaginer l’existence dans l’érosion même des sols qu’iels ont foulés. Les pierres lisses des très anciennes constructions sont pour moi chargées d’émotions et ne sont pas loin de conférer une forme d’éternité à l’espèce à laquelle j’appartiens et, par contagion, à moi-même. 

Si j’en crois la fréquentation des « lieux d’histoire », cette attraction est amplement partagée et encouragée. À la belle saison, les ruines antiques ou médiévales grouillent d’une foule vivante. Je les fuis à cette période sans me soucier du paradoxe que cela dévoile. Comment désirer me sentir exister par mon appartenance à une espère en fréquentant le souvenir de ses représentant·e·s disparu·e·s tout en fuyant mes contemporain·e·s ?

Cette préférence est vraie pour la nature aussi. Un paysage dont toute trace d’humanité est gommée, qui porte en lui-même l’évolution de ses années de vie loin de toute intervention humaine, m’attirera inéluctablement. Pourtant au milieu de ma contemplation, la conscience aiguë que ma présence béate ruine cet émerveillement pourra le transformer en une légère nausée. 

C’est cette nausée que je finis toujours par ressentir, et pour des raisons assez différentes, lorsque je chine. Il faut dire que je suis assez cliente des brocantes et autres vide-greniers dans lesquels je promène une nonchalance non feinte. Il est rare en effet que je cherche à y dénicher ce que d’autres nomment « la perle rare ». C’est-à-dire une chose dont on n’avait pas encore pensé à se munir, se charger, s’encombrer… D’ailleurs, ma propre maison pourrait à la limite parfois ressembler à de tels lieux. Car même si j’aspire à un parfait dépouillement, je me sens comme responsable des objets que je ne me résous que difficilement à abandonner. Les autres le savent qui n’hésitent pas à déposer chez moi ce qu’iels ne veulent pas jeter tout en s’en délivrant. Une accumulation inféconde et un rien asphyxiante en résulte.

Non, ce qui me plait dans ces bric-à-brac ce sont toutes les histoires qu’ils racontent. À quoi servait cet étrange outil ? De quel lointain voyage cet étonnant instrument a-t-il été rapporté ? 

Pourtant, à fouiner ainsi, il m’arrive souvent de ressentir un désagréable sentiment d’indiscrétion. Certains objets me paraissent si intimes, usés de manière si spécifique, utilisés de façon tellement personnelle. Je ne suis pas certaine que leur propriétaire aurait souhaité un tel étalage. Presque obscène.

Dans ma conception de la dignité il y a encore le fait de choisir ce que je désire montrer à autrui et ce que je veux garder secret. J’ajoute « encore » car j’ai le sentiment que plus la connaissance de moi-même s’approfondit et plus je deviens indifférente à cette distinction. Peut-être que je rêve du jour où rien de physique ou matériel ne pourra être en mesure de me représenter ou mentir à mon sujet. 

Ma profession de biographe privée me donne l’opportunité d’observer cette manifestation de pudeur ou d’autocensure. Il arrive fréquemment qu’au cours d’un de nos entretiens, une anecdote soit racontée immédiatement suivie d’un « vous ne mettrez pas ça dans le livre ! » 

Jusqu’au moment de l’écriture autobiographique, qui est pourtant l’espace de tous les épanchements, cette volonté de s’attacher à ses petits secrets reste féroce, comme garante du contrôle de son image sociale. 

La biographie familiale

Biographie familiale

Qu’est-ce qu’une biographie familiale ?

On entend de plus en plus parler de biographie familiale mais qu’est-ce que cette formule désigne vraiment ?

Écrire sa biographie c’est faire le récit de sa propre vie, de son point de vue, en s’appuyant sur ses souvenirs et, parfois, sur son imagination. Les motivations pour le faire sont multiples. Témoigner d’un épisode particulier, donner sa vision d’une époque, transmettre sa mémoire à la postérité. Ou, tout simplement, conférer un sens particulier à sa vie en la reconstituant dans un écrit.

Se lancer dans une biographie familiale implique l’idée de partage. Cette fois, la motivation n’est plus individuelle mais collective. En effet, le projet de rédiger une biographie familiale vient souvent du désir d’inscrire toute une famille dans une histoire commune. C’est pourquoi elle nécessite une collaboration entre les membres du couple ou de la famille. Pour que le récit voit le jour, il faudra s’écouter, échanger, confronter ses souvenirs. Certes, ce n’est pas une tâche facile car les souvenirs sont mouvants et conditionnés à tant d’autres choses que les faits eux-mêmes. Pourtant lorsque l’on parvient à rédiger le texte qui inclut toutes les générations, toutes les voix de la famille, on a alors constitué un socle solide sur lequel toutes et tous pourront s’appuyer sereinement.

Les biographes privé·e·s peuvent vous aider dans cette merveilleuse entreprise. En vous guidant, en construisant le récit, en donnant une forme unique à toutes ces histoires mêlées. Mais si vous avez une plume sûre et un bon sens de la construction du récit vous pourrez choisir des solutions, à l’image d’Entoureo, qui vous laisseront autonomes tout en vous proposant des conseils pour démarrer votre projet.

Alors ? Envie de vous lancer dans votre biographie familiale ?

Fais un noeud à ton mouchoir !

Mouchoir et mémoire

Fais un noeud à ton mouchoir ! Où il est question de mémoire … Et de mouchoirs.

Je me suis réveillée ce matin avec cette phrase dans la tête : Fais un noeud à ton mouchoir !

Et je visualisais ce morceau de tissu coincé dans ma poche comme un rappel. 

Pourtant, cela fait bien longtemps que je n’utilise plus de mouchoirs en tissu ! 

Lorsque j’étais petite, j’avais une passion pour ces petits carrés d’étoffe propres et amidonnés qui, chaque matin, rejoignaient mon vade-mecum. J’en avais de brodés, de fleuris et même d’imprimés avec les jours de la semaine. Je me souviens que cela me contrariait beaucoup lorsque le jour du mouchoir n’était pas fidèle à la date. 

Ma mère en avait toujours un dans son sac à main, finement parfumé de quelques gouttes de Princesse d’Albret. Je crois bien qu’elle ne s’en servait jamais pour se moucher. D’ailleurs, il côtoyait bien souvent un paquet de kleenex exclusivement utilitaire. Je me demande si elle le fait encore. Lorsqu’elle ouvrait son sac, une exhalation s’en échappait instantanément, comme une signature qu’elle entretenait soigneusement.

Malgré mon goût pour cet objet exemplaire à mes yeux, il me paraissait profondément injuste que les mouchoirs des filles fussent largement plus petits que ceux des garçons. Comme s’il fallait faire preuve de délicatesse jusqu’à la quantité de morve que nous étions autorisées à produire chaque jour !

Et puis, c’était beaucoup moins pratique pour s’en faire un chapeau ou un balluchon ! Que pouvions-nous emballer dans un carré de 25 cm de côté ? 

À la table familiale, pour nous amuser ou nous faire patienter entre deux plats, mon père sortait son grand mouchoir de garçon, pas loin de 50 cm de côté (quel veinard !) et en faisait des pliages. Apparaissaient alors sous nos yeux ravis une rose, un cornet, toute sorte d’animaux ou, ce qui nous amusait sans doute le plus, une poitrine pointue qu’il plaçait devant son torse en riant. 

Lorsque mon père est mort, j’ai voulu garder de lui l’un de ses grands mouchoirs à carreaux et quelques-uns de ses légendaires nœud papillons qui ne sont rien d’autre que des mouchoirs noués élégamment. Bien sûr je n’avais pas besoin de cela pour me souvenir de lui. Mais, bon, on ne sait jamais, si la mémoire venait à me faire défaut, il me resterait toujours ces bouts de coton !

Les chemins de la mémoire ne sont parfois pas plus grands qu’un mouchoir de poche.

Biographe privée. Toutes les histoires qui restent à raconter

Les histoires à raconter

Si l’on fait abstraction de mes toutes premières tentatives de biographe privée, je n’ai jamais raconté la vie de gens très proches de moi. 

Les protagonistes de mes biographies sont toujours des inconnu·e·s. Du moins l’étaient-iels jusqu’à notre première rencontre. 

Comment peut-il en être autrement ?

Pourtant, j’imagine souvent ce que cela ferait d’écrire l’histoire des femmes et des hommes de mon cercle. Devenir la biographe privée de mes ami·e·s. Pourquoi pas ? Certes, toutes les vies sont singulières et méritent d’être racontées. Il n’existe pas d’histoire banale lorsqu’il s’agit d’humanité. Même s’il est vrai que certains parcours titillent mon appétit de biographe.

J’y pensais l’autre jour en refaisant le monde avec Christine et Bernard. 

Toutes les histoires qui restent à raconter
Le temps de vivre

Ce couple-là a vraiment une histoire à part. 

De la Corse

Je les ai rencontré·e·s il y a une vingtaine d’années. Dans le bleu englobant de l’île que nous avions élue. 

Leur petit atelier de poterie, situé dans les hauteurs d’une crique encore un peu sauvage à l’époque, connaissait un joli succès. Les commandes allaient bon train et il n’était pas rare de découvrir quelques faïences dessinées par Christine aux portails ou dans les salles de bain de quelque villa de luxe.

La maison que ce couple avait choisie pour s’installer en Corse était une rescapée des nuits bleues. Mais après le passage de Christine et Bernard, il ne restait plus la moindre cicatrice de ces anciennes blessures. Elle surgissait fièrement au milieu d’un jardin pas toujours très discipliné. Silhouette presque rouge aux volets bleus, annoncée par un grand panneau de céramique cimenté au pilier proclamant la présence de l’atelier de poterie. Plus de quinze ans après leur départ de l’île, et même si la maison n’abrite plus d’artisan·ne, on peut encore le voir. Personne n’a eu envie de détruire cette enseigne.

Un beau jour, toute la famille a abandonné ce petit paradis pour aller en créer un autre, dans leurs terres d’origine cette fois. 

Au domaine de Cadablès

Je me souviens très bien des débuts sur le domaine de Cadablès qui n’était à l’époque qu’un vieux mas presque laissé à l’abandon au milieu de quelques hectares de vignes et de garrigue. Je me souviens des premiers mois où la propriété n’était pas habitable. Quand il fallut loger dans des tentes et se laver à la douche de jardin, hiver comme été. La plus jeune de la tribu commençait tout juste à faire ses premiers pas. J’observai cette aventure avec un mélange d’admiration et d’inquiétude. Mais mon inquiétude ne rendait pas justice à la force créatrice de ce couple magique.

Biographie. Poésie des lieux et des êtres
Plonger dans la poésie du lieu

Aujourd’hui, non seulement le domaine de Cadablès produit l’un des meilleurs vins bio de la région (de l’avis de mes papilles) mais il est aussi l’un de mes endroits préférés en Languedoc. Un monde magnifique, un lieu accueillant. Où l’on a envie de rester. Pour un peu plus de soleil, un peu plus de midi, un peu plus de chaleur humaine et de poésie

Raconter les lieux
Le Languedoc, des vignes à la mer

Et même si la vue panoramique depuis la terrasse du mas est à couper le souffle. Même si l’on y embrasse tous les paysages du Languedoc jusqu’à la mer. Ce n’est pas le plus impressionnant de votre séjour à Cadablès. Non, le plus impressionnant est sans conteste la manifestation de ce que peuvent accomplir le rêve et la passion. Le plus impressionnant est la présence, dans chaque parcelle de terrain, chaque pierre de mur, chaque coup de taloche, chaque plante, de cette formidable énergie humaine.

Vraiment, ce serait un privilège pour moi si je devais, un jour, raconter cette aventure.

Biographe privée et sophrologue ?

Biographe privée et sophrologue

Je suis biographe privée et sophrologue.

Il y a quelques jours, je rencontrai une personne que j’avais vue pour la première fois quelques mois auparavant (en fait, c’est mon nouveau médecin de famille). Je fus surprise de l’entendre dire : « Ah ! oui, difficile d’oublier votre occupation, pas banale, écrivaine privée et sophrologue, deux métiers aussi originaux que différents l’un de l’autre ! »

À quelles représentations de ces deux métiers répondait cette assertion ? Je ne pourrais le dire avec certitude. Mais je pencherais pour des connotations plutôt positives, globalement. Je me souviens qu’à l’évocation de la sophrologie, il avait commenté : « Il en faudrait plus ! »

Ce n’est pas moi qui dirai le contraire.

Je ne sais pas si mes métiers sont originaux pour reprendre le mot de l’homme de l’art, mais je sais qu’ils ont plus de points communs qu’il n’y paraît.

Biographe privée

Être biographe privée, c’est prêter sa plume à un·e humain·e distinct·e de soi. C’est savoir écouter, suspendre son jugement, ses a priori, reconnaître ses biais et ses freins. Pour être dans un accueil le plus parfait possible de la pensée et de la voix de l’autre.

J’aime à croire que les personnes dont j’écris l’histoire ressortent de cette expérience comme augmentées. Elles ont redécouvert des ressources qu’elles pensaient enfouies, des capacités qu’elles ignoraient avoir. Elles apprécient l’oreille attentive et bienveillante que je leur prête. Et quoi de meilleur que vivre le partage sans autre souci qu’être soi-même ? En l’espace de quelques rencontres, aboutir à la production d’un travail dont chacun et chacune se sentira fier·ère, et qui sera sien, pleinement.

Et sophrologue

Tout cela n’est pas si éloigné des buts de la sophrologie (responsabilité, autonomie, dignité) et de la pratique des métiers liés à cette science humaine. La·e sophrologue propose une relation d’aide dans laquelle iel montre sans contraindre, invite sans induire, observe sans juger. Laisser l’autre libre est la vertu essentielle de la relation des sophrologues à leurs client·e·s. Sans liberté, il ne peut exister ni dignité, ni responsabilité ni, bien sûr, autonomie. 

La phénoménologie

Une des premières choses que l’on apprend, pour devenir sophrologue, est l’entraînement à l’attitude phénoménologique. Attention, épochè[1] et description, trois étapes favorisant la lecture des phénomènes, de tout ce qui paraît à la conscience. Cette attention portée à l’instant présent est un exercice presque existentiel, non, pas presque, complètement existentiel. Il peut nous permettre de dévoiler le sens, souvent caché sous les drapés plus ou moins élégants des clichés, des préconceptions, des interprétations, de notre éducation.

Ainsi, ce n’est pas complètement un hasard si j’ai choisi d’exercer ces deux professions. Biographe privée et sophrologue sont des métiers du partage, de la relation. En plaçant l’individu au centre de la recherche, en même temps dans sa singularité et dans son appartenance au monde, ils participent à la longue exploration de la conscience.

Alors ? Elle n’est pas belle ma vie de biographe privée et sophrologue ?


[1] Terme d’origine grecque utilisé en philosophie pour désigner la suspension du jugement, étape clef de l’attitude phénoménologique.

Écriture inclusive ?

Écriture inclusive

Comme vous l’aurez sans doute remarqué (ou pas si vous y êtes déjà tellement habitué·e), ce blog est rédigé dans une tentative d’écriture inclusive. Je sais que je pourrais mieux faire encore en la matière mais je tiens à ce que la lecture reste aisée pour tou·te·s, y compris celleux qui ne seraient pas familiarisé·e·s avec cette façon d’écrire.

Surtout que nous sommes loin du consensus en matière d’écriture… et d’inclusion… 

La lecture des ouvrages d’Éliane Viennot (entre autres) et du Guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe, publié en 2016 par le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, m’a vraiment mis le pied à l’étrier. Puisque des règles existaient, et qu’elles avaient un sens tant historique que linguistique, je pouvais apporter mon petit caillou à l’édifice.

Je suis terriblement consciente de la nécessité de posséder un code commun pour nous permettre d’échanger confortablement et aussi très attachée à l’histoire de la langue française. 

Ce qui pourrait paraître en contradiction avec ce choix de l’écriture inclusive. Pourtant, c’est assez cohérent.

La langue se modifie de façon naturelle sous l’influence de l’oral et de ses simplifications, des apports étrangers, de l’évolution des modes de vie.

Mais, parfois, ces modifications sont forcées, imposées selon des présupposés parfois fort discutables (et c’est un euphémisme).

Ainsi, lorsque l’Académie française a tranché pour l’accord au masculin, elle l’a fait en vertu du principe que : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle »[1]. Ben voyons ! Avant cela, l’accord de proximité ou de quantité était la règle et cela ne rendait pas la langue moins simple ou moins logique.

On voit bien ici qu’il n’est pas question d’une forme neutre permettant d’alléger le texte mais bien d’une prise de position résolument sexiste et excluante. Et il n’est encore question que d’une division binaire des sexes et genres. 

Le lien entre langue et construction du monde n’est plus à démontrer et si une société constate que sa langue ne tient pas compte de sa réalité, l’évolution s’imposera. Reste à savoir si nous avons tou·te·s envie d’une société égalitaire qui ne laisserait pas des représentations toxiques invisibiliser une part importante des personnes qui la composent. 

À vrai dire, ce choix complique un peu la saisie de mes textes. Insérer le point médian, lutter contre les corrections automatiques et les forcer plusieurs fois avant que la forme que je propose soit admise.

Je dois aussi accepter de ne pas être consensuelle, d’attirer sur moi les foudres de mes collègues correcteur·ices et rédacteur·ices qui jugent souvent cette mode inesthétique, embarrassée et pas toujours fidèle à nos chères règles orthographiques et grammaticales. Il est vrai que corriger un texte long rédigé en écriture inclusive ou épicène peut provoquer quelques migraines. 

Cependant, j’essaye de rester fidèle à mes valeurs et d’agir dans le sens du monde que je souhaiterais léguer. Je tente d’accompagner l’évolution de ma langue natale de la même manière que je fais attention à mes déchets et à ma consommation. 

Bien sûr, lorsque je rédige pour autrui, je m’en tiens encore aux règles communément admises.

Je dois avouer que nul·le ne m’a encore jamais demandé de rédiger une biographie en écriture inclusive et que si je devais le faire, cela me demanderait sûrement une concentration et une réflexion supplémentaires. Mais ce ne serait sûrement pas plus difficile que d’écrire en alexandrins, après tout, les règles de métrique sont bien plus contraignantes que celle d’écriture inclusive.

J’espère qu’un jour nous rirons de ce débat. 


[1] Nicolas Beauzée, grammairien membre de l’Académie française 1717-1789

Mystérieuse mémoire

mystérieuse mémoire

Qu’est-ce que c’est que ce chapeau ?

On ne sait pas encore très bien comment fonctionne la mémoire. Comment se créent et se recréent les souvenirs qui semblent beaucoup plus proches des capacités d’imagination que d’une sorte de banque de données qui serait stockée dans un coin de notre cerveau.

Ce matin, j’ai vécu une expérience étrange. En rapport justement avec la mémoire et le souvenir.

L’une de mes amies, C., m’envoie une photo qu’elle vient de retrouver dans une vieille boîte rangée au fond d’une armoire. 

Une jeune femme

C’est la photo d’une jeune femme. Le ou la photographe est placé·e derrière elle de sorte qu’on la voit de dos mais son visage est tourné vers l’objectif. Pourtant elle ne semble pas poser.

Ses yeux disparaissent derrière une paire de Rayban Wayfarer aux montures et aux verres noirs.  Elle porte un chapeau de paille, un genre de canotier dont le ruban est à bandes de couleurs chaudes, rose foncé et jaune. De son vêtement, surement léger, je ne vois qu’une bretelle de coton gris et blanc. Autour de son cou, une chaîne de mailles filigranes en or. Du chapeau sort une grosse boucle de cheveux roux qui recouvre la nuque.

photo souvenir

La lumière sur la photo, le chapeau, les épaules dénudées et légèrement bronzées du modèle me parlent d’été. Le plan est assez serré de sorte que je ne dispose pas de beaucoup d’indices sur les lieux du tableau. La femme est assise sur un fauteuil en rotin et surplombe un vague jardin dont on aperçoit quelques taches vertes dans le flou de l’arrière-plan. Un balcon ? Une terrasse ? En tout cas, ce lieu ne m’est pas familier. Elle tient dans ses mains un paquet de feuilles dactylographiées dans la lecture desquelles elle semble avoir été interrompue par l’appareil. 

Souvenir retrouvé

Le message qui accompagne l’envoi de cette photo dit : « souvenir retrouvé ».

Si C. me l’envoie, il doit s’agir d’un souvenir que nous partageons. Est-ce moi sur la photo ?

Ma première impression me dit non.

Mais je veux en avoir le cœur net. Alors j’examine plus attentivement ce visage aux rondeurs encore enfantines. Et, tout à coup, je reconnais les traits de ma fille, quelque chose dans le menton, la forme de la bouche. Et j’accepte que la jeune femme sur cette photo est celle que j’étais il y a des années. Je ne me reconnais toujours pas mais j’admets, ok, c’est moi.

Pourtant, je reste bloquée sur le chapeau « qu’est-ce que c’est que ce chapeau ? » Je ne garde aucun souvenir de lui.

J’étais presque davantage contrariée de ne pas reconnaître ce chapeau que de ne pas être capable de m’identifier. 

Tout ce que j’ai eu, tout ce que j’ai vécu, tout ce que j’ai vu, entendu, respiré, ressenti me constitue. J’ai été façonnée par des journées comme celle-là. Comment puis-je en perdre le souvenir conscient ?

Je suis toujours fascinée par l’acuité et la vivacité des souvenirs des personnes dont j’écris la vie.

Certaines sont jeunes encore, d’autres frôlent le siècle. Mais toutes racontent un quotidien, des événements, des rencontres.

Au fur et à mesure de nos entretiens, les détails deviennent de plus en plus nombreux, de plus en plus vivants, de plus en plus précis.

L’écriture de sa vie permet cela aussi. Faire ressurgir ces mille petites choses reléguées dans une vieille boîte rangée au fond de nos cerveaux chaque fois qu’il était nécessaire de faire de la place pour les nouvelles expériences. 

Mais qu’est-ce que c’est que ce chapeau ?

Mais qui est l’auteur·ice d’une biographie privée ?

Qui est l'auteurice d'une biographie privée

Quand on transforme une histoire imaginaire, vécue ou entendue en ouvrage littéraire au sens le plus large du terme, il semble évident qu’on en est l’auteur·ice. Pourtant, dans le cas d’une biographie privée, la question se pose :

Qui en est l’auteur·ice ?

Est-ce la personne qui raconte sa propre histoire ou celle qui l’écrit ?

Est-ce celle qui apporte la matière ou celle qui la met en forme ?

Pour moi, la réponse est claire. L’auteur·ice de la biographie est cell·ui qui ressent le besoin de partager sa vie, d’en faire un livre. 

En tant que biographe privée, je n’en suis, au mieux, que la co-autrice.

Mais alors, pourquoi ne pas parler d’autobiographie ? 

C’est là toute la beauté de la chose. L’autobiographe se débrouille seul·e avec ses souvenirs, sa chronologie, son style, sa manière. L’écriture même fait partie, pour l’autobiographe, de la matière qu’iel souhaite transmettre.

L’auteur·ice de la biographie privée choisit ses souvenirs, transmet ses valeurs, raconte, fait entendre sa voix. Cependant qu’ une tierce personne organise son récit, transpose sa parlure en écriture sans intervenir autrement que par sa plume.

Cette tierce personne c’est moi, sa biographe privée. 

Le mot « privée » a, ici, toute son importance. 

Il ne signifie pas que je suis privée de dessert (ça me ferait mal), mais il me distingue des biographes (tout court) qui s’attellent à la vie des personnes illustres.

Faisant souvent œuvre d’historien·ne, chaque biographe (tout court) a une volonté, une intention en entreprenant de retracer le parcours de son personnage.

Chaque biographe (tout court) apparaît dans son œuvre, par le choix des éléments mis en relief, par l’éclairage apporté sur cette vie qui n’est pas la sienne mais dont iel propose une interprétation. Son récit se fait d’ailleurs à la troisième personne.

Les biographies privées sont à la première personne. Ce « je » est celui du·de la narrateur·ice et aussi celui de l’auteur·ice. Une plume n’a pas besoin de pronom personnel.

Je suis née dans un taxi. Ma mère m’a tant de fois raconté cette histoire que j’ai aujourd’hui des images précises dans ma tête. Un peu comme si j’avais assisté à la scène, un peu comme un témoin extérieur. Témoin de ma propre naissance

Mais non, pas moi, je suis née dans une maternité, c’était juste un petit extrait, pour l’exemple.

Alors? Elle n’est pas belle ma vie de biographe privée ?

Histoire singulière et universelle

histoire singulière et universelle

La biographie est le récit d’une vie singulière.

Pourtant, cette histoire prend racine dans une époque, un contexte. Et les souvenirs, aussi précis et vivants soient-ils, n’ont pas toujours l’acuité suffisante pour rendre compte du cadre historique avec la rigueur qu’il réclame.

Le souci de réalisme étant une exigence du genre, il devient nécessaire de ne pas traiter à la légère la validité de cette toile de fond.

C’est là qu’intervient une tâche essentielle de la biographe privée. La documentation. La recherche.

Et là, je dis : « Merci Internet ! » 

Merci les généreux et les généreuses qui partagent leur savoir, leurs pistes de recherches, leurs bibliographies.

Merci les banques de ressources documentaires, les dictionnaires et encyclopédies en ligne.

Merci à toutes les petites mains qui ont numérisé les archives des communes, des associations, des institutions.

Certes, il m’arrive encore parfois d’avoir à téléphoner, à me rendre dans une bibliothèque (je m’y rends volontiers, j’adore les bibliothèques et les bibliothécaires) pour une ressource qui aurait échappé au lent travail de mise en ligne, mais cela devient de plus en plus rare.

Cette mutualisation des connaissances me fait gagner un temps précieux et me seconde considérablement dans ma poursuite de la justesse. 

Si je me déplace encore pour mon métier de biographe, c’est pour me promener dans les lieux de l’histoire, quand c’est possible, mais ça, c’est un autre sujet.

La dernière biographie que j’ai rédigée contenait des moments très spécifiques de la Seconde guerre mondiale. Si les souvenirs personnels de l’autrice étaient très vivaces, son appréciation de la situation générale était un peu plus floue. Pour permettre à ses souvenirs d’exister, un travail de recherche fut indispensable. Les éléments historiques pourraient, à cette condition, englober harmonieusement le récit particulier de cette vie unique.

Pendant les vacances de Noël 1943, le 29 décembre si mes souvenirs sont exacts, la ville de F. connut son premier bombardement. Ce jour-là, j’étais avec ma famille, dans mon village […]. Tous ceux qui pouvaient fuir la ville le firent. Ceux qui avaient une résidence secondaire l’investirent, d’autres cherchèrent abri dans leur famille, d’autres encore […] trouvèrent refuge chez des amis ou des inconnus prêts à ouvrir leur porte aux réfugiés de la grande ville. […] D’abord, quand ils avaient entendu les sirènes, ils ne s’étaient pas trop inquiétés. Depuis le début de la guerre, les alarmes étaient assez fréquentes et les habitants connaissaient les lieux sûrs où attendre la fin de l’alerte. Cependant, jusqu’à ce jour, il ne s’était agi que de fausses alarmes, ce qui explique sans doute pourquoi bon nombre de F. n’interrompirent pas leur déjeuner ce jour-là pour se mettre à l’abri. Pourtant, moins d’une heure après les premières alarmes, le feu s’abattait sur la ville, mutilant, détruisant un nombre considérable de maisons et de bâtiments, tuant plus de trois cents personnes, en quelques minutes. La poussière des murs d’ocre teignit le ciel de rouge, durablement.

Alors? Elle n’est pas belle ma vie de biographe privée?

Partir en aventure

Aventure en mer

J’ai l’impression que j’utilise souvent le mot « aventure ». Le sens que je lui donne est sans doute assez vaste. Du moins, je l’emploie davantage pour ses connotations que pour son sens premier.

La connotation majeure que je lui donne est celle de la posture d’ouverture à l’imprévu. « Prêt·e pour l’aventure », pour chaque expérience nouvelle, chaque entreprise enthousiasmante, chaque imprévu.

J’aime le son de ce mot qui m’évoque la découverte, les péripéties, le voyage, le dépassement de soi. L’aventure peut être intellectuelle, spirituelle, physique, émotionnelle, artistique. Que sais-je ? En fait, il suffit parfois d’accueillir sa curiosité pour partir en aventure.

Et puis il y a l’aventure, identifiée comme telle, homologuée, succession de péripéties, de dangers, celle qui se prête tellement au récit. Quand on en a vécu une, on s’en souvient toute sa vie, on aime la raconter, et bien souvent, elle permet de mettre en lumière des facettes ignorées de sa personnalité.

C’est une de ces aventures qu’un jour on me demanda d’écrire. Une vraie, avec des ailleurs, des périls, le déploiement de capacités insoupçonnées, des rebondissements. Une véritable matière de conte. 

Celle-là se passait en mer, sur un voilier assez petit, pas très confortable, pas très bien équipé. 

Il ne s’agissait pas, cette fois, de retracer la vie entière du narrateur mais simplement cette assez courte période qui avait déterminé sa vision du monde et de l’existence. Il ne souhaitait pas une biographie mais un récit d’aventure dont il serait le héros. C’était ça, pour lui, le récit de sa vie.

Alors, j’ai embarqué avec lui. J’ai emprunté son vocabulaire, le tempo de ses phrases, ses émotions. 

J’ai appareillé de M. le 23 août 1983. La mer était encore grosse d’une récente dépression et il a fallu passer la barre qui se forme au bout de la jetée pour sortir du port. Pendant une douzaine d’heures, la remontée s’est effectuée vent debout jusqu’à ce que je vire de bord, au moment où la nuit tombait. J’ai alors fait route vers la côte, dans l’obscurité, sans savoir précisément à quelle distance elle se trouvait avec tous les dangers qu’elle représentait. Mon seul compagnon était un  sondeur à piles, c’est lui qui me donnerait le signal pour virer à nouveau quand j’aurais atteint la sonde de cent mètres

Alors ? Elle n’est pas belle ma vie de biographe privée ?